Mittwoch, 29. August 2018

Tango à Lewandiwka


Dans la foule que j’observais, deux personnages se démarquaient : une femme élégante et un peu fanée – ou trop maquillée ? –, portant une robe soyeuse qui lui découvrait le dos, et un homme en complet clair, trop coquet pour l’occasion. Ils étaient assis entre des femmes d’âge mûr en jupe, pantalon aux chevilles et sandales, à une tribune de la scène principale du festival de Lewandiwka. La tribune était installée à l’entrée d’un centre jeunesse situé dans un vieux cinéma soviétique repeint aux couleurs nationales ukrainiennes. En la photographiant, j’ai soudain compris : les deux oiseaux colorés étaient les professeurs de la classe de tango annoncée dans le programme que je venais tout juste de consulter.

Mon tango est comme mon polonais : je n’y excelle pas, mais je connais au moins un peu. Pendant que mes collègues s’affairaient à l’organisation du festival, qui visait à favoriser le développement de ce quartier défavorisé, j’ai donc dansé avec l’homme et la femme extravagants, et avec quelques enfants. J’étais ravie : de bouger, de rencontrer des gens, de découvrir un nouveau quartier de la ville.

                                                                     ***

- « Where can I dance tango in Lviv ? », ai-je demandé, un peu essoufflée, au professeur.
- « Every Sunday, on the market square », m’a-t-il tout de suite répondu.

- « Do I have to be accompanied ? » Cette fois, la réponse s’est faite attendre. Avais-je fait un faux pas ? Je le relançai : « Are there not enough men ? » De nouveau, silence.

- « There are enough men, but they won’t dance with you. I mean, not with a stranger. I do, but they won’t... », a-t-il enfin lâché.

***

Entre deux milongas, j’avais pu observer les alentours : il y avait des hommes à vélo, des jeunes aux jeans coupés en shorts, quelques alcooliques, des familles, une dame qui mendie parfois au centre-ville, beaucoup d’enfants. La musique jouait toujours. Un trio aviné, deux hommes et une femme, dansaient.

Plus tard, j’ai aussi vu les petites maisons centenaires, la verdure, les magasins, l’église d’où émanait une forte odeur d’encens, des blocs de l’époque communiste en arrière-fond. J’ai mangé dans un restaurant rustico-chic, décoré de bois sombre, de carreaux et de lustres en cristal, qu’une de mes collègues a qualifié de « normal ». J’ai compris ce qu’elle voulait dire ; l’intérieur n’était pas sans rappeler mon appartement au centre-ville.

Mes collègues avaient réglé toutes les questions urgentes. Il faisait beau. Nous sommes rentrées à pied. J’étais toujours ravie. Le décor bigarré de ce quartier périphérique de Lviv, à quelques kilomètres du centre historique et touristique de la ville, me plaisait.

***

Le festival s’étalait sur toute la semaine précédant la fête nationale. Le lendemain, j’ai participé à un rallye à travers le quartier avec un groupe de filles et de jeunes femmes. Sur les traces du cinéaste Paradjanov qui avait donné son nom au festival, nous avons cherché des indices, marché, appris sur l’histoire du quartier et fait connaissance. À ma question « où sont les garçons ? », mes co-équipières n’ont répondu que par un haussement d’épaules résigné.

Plus tard, lorsque j’ai de nouveau posé la question, cette fois à des adultes, on m’a expliqué que la gent masculine préférait jouer au foot. En marchant vers le centre-ville, les collègues m’ont amenée dans un restaurant-bar près du parc et du lac artificiel de Lewandiwka. Cette fois, le public était essentiellement masculin. Le foot donne soif, me suis-je dit.

                                                                     ***

- « T’es allée au tango, finalement ? » m’a demandé ma mère au téléphone.
- « Je branlais entre l’orgueil et la curiosité, pis je suis allée. »

- « T’as bien fait ! Au moins, pour voir les gens danser... »
- « Ouais, sauf qu’il pleuvait. Personne n’a dansé, pas cette fois. »

                                                                     ***

Pendant mon séjour à Lviv, je n’ai eu d’interactions qu’avec des femmes, ou presque. Certes, j’avais affaire à des gens du domaine de la culture, mais il n’en demeure pas moins que les rares hommes à qui j’ai parlé étaient souvent gais, étrangers ou professeurs de tango.

- « T’oublies ton vieux stalker, celui de la police. » (voir, « Prost » : http://stadtschreiberin-lemberg.blogspot.com/2018/06/prost_18.html)

Je trouvais ça tout de même dommage, mais il était difficile d’aborder la question sans s’attirer des haussements de sourcils. Apparemment, j’étais la seule que ça intéressait.

0 Kommentare:

Kommentar veröffentlichen